Extrait de La Vallée de la Meuse de George Villechet
Aussitôt après Joigny-sur-Meuse, la Vallée reprend son aspect sêvère en une sauvage perspective. Les eaux de la Meuse ne frissonnent plus sous les caresses de la brise, mais, reprenant leur sereine lenteur, elles vont s’enfoncer là-bas dans une gorge sombre, dont l’au-delà vous attire vers l’inconnu mystérieux. Les montagnes, qui tout à l’heure surplombaient le village, se terminent, à un détour du fleuve, en une pointe solitaire formée par de hauts rochers dénudés, éternels rêveurs laissant couler leurs rêves au fil de l’onde qu’ils regardent passer toujours. La Meuse, se sentant ainsi regardée, fait, pour paraître belle, la plus harmonieuse des courbes autour de ces rochers qu’elle enlace. Une courbe, c’est presque un salut : elle salue donc ses admirateurs et puis s’en va paisible dans sa gracieuse dignité. Cette pointe de rochers, qui regarde ainsi couler la rivière, est elle-même éternellement contemplée par un majestueux hémicycle de monts au coeur desquels elle s’avance et qui la dominent de toute leur masse. Or, ce cap en pointe sauvage est hanté par un esprit mystérieux que l’on ne peut entrevoir mais que l’on entend souvent chanter. C’est, assure-t-on, l’âme d’un barde qui avait autrefois vécu longtemps ignoré dans ces lieux et qui était mort sur ces rochers devenus son tombeau. Ce barde solitaire, enivré d’amour pour la splendeur de cet admirable paysage, n’avait jamais voulu quitter sa retraite. Il y mourut. Mais son âme erre toujours encore tantôt sur l’onde du fleuve, tantôt sur les montagnes environnantes, sans toutefois jamais s’éloigner du panorama qui lui fut toujours cher. Cette âme semble avoir rassemblé toutes les voix de la nature pour en former une lyre immatérielle que l’on entend vibrer à chaque saisons, à chaque changement de temps. Comme le rossignol, elle ne chante que dans l’ombre et la solitude. Elle chante lorsque l’aurore se voile de brumes ruisselantes en floconneuses et blanches traînées ; elle chante lorsque la tempête éclate sur les sommets ; elle chante lorsque les ondes grossies de la Meuse roulent en torrents dans la nuit noire. Mais, lorsque les vents ont cessé de souffler et que le ciel est d’azur en la nature apaisée, elle se tait. Jamais on n’a entendu cette âme chanter la joie qui éclate en fanfares bruyantes dans tous les rayonnements d’un beau jour ; mais on l’entend souvent chanter les tristesses mélancoliques d’une sombre journée alors que la montagne se referme, en frissonnant, dans un manteau de brouillards. C’est que le barde, dont elle animait le corps autrefois, avait beaucoup souffert et s’était enfin fait ermite pour oublier dans la nature et en Dieu toutes les injustices, les méchancetés, les tromperies et les tortures morales du monde. Ce barde était poète et composait lui-même ses chants, n’aimant célèbrer que ses souffrances passées et son espoir dans l’avenir divin, sans jamais parler de la sérénité qu’il avait acquise de sa douce solitude. Il chantait la souffrance pour consoler et fortifier ceux qui ne savent pas souffrir ; et c’est pourquoi son âme revient encore sur la terre, alors que la nature est triste, pour idéaliser cette tristesse par les harmonies de sa lyre formée de brises, d’ondes et d’échos. Quelles furent les poésies de ce barde ? On l’ignore, car elles sont ensevelies avec lui dans la tombe. On ne connaît que celle qu’il chanta la dernière et qui fut comme son chant du cygne.
Un jour, un chevalier tout bardé de fer chevauchait dans ces contrées. Ayant entendu parler du barde-ermite, il alla le trouver, le priant de lui chanter quelqu’une de ses inspirations. Le barde refusa, disant qu’il ne chantait pas pour les puissants du siècle mais pour les malheureux de la terre.
Le chevalier, voulant cependant l’entendre, vint, accompagné de son page, durant la nuit, se cacher derrière le roc alors que l’ermite charmait par ses chants plusieurs pâtres assemblés sous la clarté des étoiles. La Meuse murmurait doucement au bas du rocher, tandis que la brise frissonnait dans le feuillage des grands chênes. Enthousiasmé, le chevalier revint vers le barde, dès le lendemain à l’aurore : “ Veux-tu me suivre ? lui dit-il, tu seras le trouvère de ma cour, tu charmeras les dames de mon château, tu célèbreras mes exploits et nos festins ; tu seras riche et honoré parmi tous mes vassaux ! ” le barde refusa. Le chevalier, furieux et humilié du refus, le frappa de son gantelet de fer à la tête et, le laissant pour mort, il s’en alla. Mais le page, ému de pitié, profita, quelques heures après, d’une occasion favorable et, quittant son maître, il revint à la grotte de l’ermite. L’ayant trouvé encore évanoui, il le rappela à la vie à force de soins, puis il voulut s’attacher désormais à lui, comme un grand coeur s’attache toujours au génie. Le barde accepta le dévouement du noble jeune homme ; et le page, poète lui-même, fut heureux de partager l’existence du solitaire. Mais celui-ci ne vécut plus bien longtemps. Depuis cette aventure, il était devenu de plus en plus triste. De plus en plus il sentait je ne sais qu’elle brise de l’éternité soulever sa lyre de terre et l’enlever dans l’espace. Son corps lui devenait pesant ; il avait de plus en plus soif de ciel et d’immatérialité. Chaque matin, le page, le prenant sous le bras, l’aidait à descendre sur la rive de la Meuse où il aimait voir couler l’eau limpide, la voir couler toujours comme coule la vie. Là, sur l’herbe étendu, en face des montagnes, notre barde retrouvait encore quelques-uns de ses accents d’autrefois. Enfin, un matin, après être longuement resté rêveur, il se sentit plus triste qu’à l’ordinaire, tandis qu’il écoutait cet éternel flic flac que l’eau soupire comme l’harmonie imitative d’un sanglot, en se brisant contre le roc. Alors le barde, s’harmonisant lui aussi avec ses monotones murmures du fleuve qui venait clapoter à ses pieds, laissa couler de ses lèvres ce chant d’une douce mélancolie et qui fut son dernier :
Le flot arrive,
Baigne la rive
Du fleuve bleu,
Caresse un peu
La roche verte
D’herbes couverte,
Puis dans son choc
Pleure et soupire,
Et puis expire
Sur le roc.
Une voix vague
Sort de la vague
Comme un baiser
Qu’on vient puiser
Aux lèvres roses
Des fleurs écloses ;
Mais dans son choc
Le flot soupire
Et puis expire
Sur le roc.
Dans la nature
A l’aventure,
Au champs, aux bois,
Planent des voix !
Tout étincelle,
Mais tout chancelle.
- Et dans son choc
Le flot soupire
Et puis expire
Sur le roc.
Dans la même heure
On rit, on pleure.
La vague au bord
Chante d’abord
Et puis clapote.
- Oui, tout sanglote !
- Et dans son choc
Le flot soupire,
Puis il expire
Sur le roc.
La brise chante,
L’azur enchante,
Le printemps rit.
Puis s’assombrit
Bientôt l’espace.
- Tout vite passe !
- Bientôt du choc
Le flot soupire,
Puis il expire
Sur le roc.
D’abord l’aurore
Qui vient d’éclore,
Et puis la nuit
Qui se poursuit.
Tout est caresse,
Puis tout détresse !
- Et dans son choc
Le flot soupire,
Puis il expire
Sur le roc.
L’âme ruisselle
En étincelle :
Puis comme un flot
Monte un sanglot
Qui, comme un voile,
Cache l’étoile.
- Bientôt du choc
Le flot soupire,
Puis il expire
Sur le roc.
Ombre et lumière
La vie entière
Est faite ainsi.
L’on danse ici,
Plus loin l’on tombe
Dans la tombe.
- Et dans son choc
Le flot soupire,
Puis il expire
Sur le roc.
Même en la brise
L’Ame se brise ;
Un pleur vainqueur
Barre le coeur...
Oh ! Harmonie
Sitôt finie !
- Dans son dur choc
Le flot soupire,
Puis il expire
Sur le roc.
Après avoir chanté, il se sentit épuisé. Le gentil page le reconduisit à la grotte où il le coucha sur un lit de feuilles sèches. Dès le soir, il expira. Et ce fut par les soins de son jeune compagnon que nous avons encore le dernier chant du barde solitaire des rochers de la Meuse.
Depuis ce temps, son âme harmonieuse revient à certaines heures chanter en ces lieux parmi les bruissements du fleuve, de la forêt et de l’espace. Que chante-t-elle ? On l’entend, mais on ne la comprend pas. Il paraît que, pour comprendre, il faudrait que vint un poète, dont la lyre fut soeur de celle de l’antique barde, c’est-à-dire formée de brises, d’ondes et d’échos. Ce poète, dit-on, doit venir un jour : on l’attend. C’est alors que, rassemblant tous les chants vagues qui planent depuis tant d’années sur la Vallée, il traduira ce langage de l’âme errante et nous dira enfin le sens de toutes ces voix mystérieuses de la Montagne.
Remarques sur la légende du Barde de la Vallée
Cette légende est étonnante, n’est-ce pas ? Elle nous donne la fonction exacte de la Lyre qui est de vibrer à chaque saison et quand cela ce produit :
Elle ne chante que dans l’ombre et la solitude.
Elle chante lorsque l’aurore se voile de brumes ruisselantes en floconneuses et blanches traînées ;
Elle chante lorsque la tempête éclate sur les sommets ;
Elle chante lorsque les ondes grossies de la Meuse roulent en torrents dans la nuit noire.
Elle nous dit que celui qui peut en jouer ne peut être qu’une personne qui ait beaucoup souffert et se soit fait ermite pour oublier dans la nature et en Dieu toutes les injustices, les méchancetés, les tromperies et les tortures morales du monde. Le barde possède en plus un but bien précis : Il chante la souffrance pour consoler et fortifier ceux qui ne savent pas souffrir.
De plus en plus il sentait je ne sais qu’elle brise de l’éternité soulever sa lyre de terre et l’enlever dans l’espace.
Allusion à ce que représente la Lyre : une constellation !
Alors le barde, s’harmonisant lui aussi avec ses monotones murmures du fleuve qui venait clapoter à ses pieds.
A proximité de la Lyre, au pied du joueur, il y a un fleuve.
Il paraît que, pour comprendre, il faudrait que vint un poète, dont la lyre fut soeur de celle de l’antique barde, c’est-à-dire formée de brises, d’ondes et d’échos. Ce poète, dit-on, doit venir un jour : on l’attend. C’est alors que, rassemblant tous les chants vagues qui planent depuis tant d’années sur la Vallée, il traduira ce langage de l’âme errante et nous dira enfin le sens de toutes ces voix mystérieuses de la Montagne.
La première phrase sous-entend l’existence d’une deuxième Lyre, donc celle du plateau de Haye, la première étant celle qui se trouve quelque part dans la vallée de la Meuse ! "il traduira ce langage de l’âme errante et nous dira enfin le sens de toutes ces voix mystérieuses de la Montagne" : c'est ce que je suis entrain de faire avec une grande fébrilité !
Recherche de la Première Lyre de Meuse :
La première chose à faire est de découvrir où se trouve Joigny sur Meuse. Cette ville est juste au-dessus de Charleville-Mézières, après Nouzonville, en prenant la D1. On retrouve effectivement, une curbure dorsale comme celle de la Lyre de la forêt de Haye en suivant la Meuse par les Rochers des Grands Ducs, Braux, Levrezy et les rochers des 4 Fils Aymon. Le tout est de savoir de quel côté de la Meuse elle se situe ! Pour cela, il me faut une carte IGN de cette région. Mais on peut tout de même supposer qu’elle soit à droite, comme la deuxième ! On remarque à droite le toponyme Chêne Chaudron à consonnance Celtique évidente. En suivant la lecture du texte du symbolisme du Chaudron on tombe sur Corne et tout à la fin de la deuxième explication du symbolisme de la corne, on trouve la phrase suivante qui nous ramène à la Lyre :
- puisque la corne est à la fois phallus qui s'érige et l'arme qui peut pénétrer dans une chair d'homme tandis que la paire de cornes dessine l'harmonie d'une lyre et, reposant sur le front de l'animal, métaphorise dans sa double courbe le réceptacle d'une coupe et la matrice de la femme.
Or dans le paysage que décrit ici la Meuse, on trouve à droite comme paire de corne Naux et Falloue et à gauche, de façon plus extraordinaire, les Dames de Meuse derrière Laifour (Lait - Four ) ! A priori, elle serait à gauche avec la Meuse comme corde tendue entre les deux cornes que sont les dames de Meuse ! Mais n’y aurait-il pas plutôt deux Lyres en ce lieu ?
jeudi 10 mai 2007
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